Thaddée Prate, directeur du département des tableaux anciens chez Tajan
En mars dernier, un client avait pris rendez-vous chez Tajan pour nous présenter une quinzaine de dessins anciens qu'il avait depuis de nombreuses années. Ce client avait reçu ces dessins de son père et les gardait dans un carton à dessin dans un coin de sa maison sans s'en préoccuper. Arrivé à l'âge de la retraite, il a voulu en savoir plus sur ces dessins, il a donc pris rendez-vous avec nous. Nous étions alors en clôture de catalogue, je les ai donc examinés assez rapidement. J'ai tout de suite réalisé qu'il y avait des dessins italiens du 16ème et 17ème siècle qui étaient intéressants voire importants. Il y en avait notamment deux qui ont immédiatement attiré mon attention. Ce dessin de Léonard que j'ai tout de suite identifié comme étant un dessin du 16ème et un autre, que l'on a vendu récemment, comme étant de l'entourage d'Andrea del Sarto. J'ai voulu rendre au client certains dessins un peu médiocres mais au vu de l'importance de certains j'ai jugé plus judicieux de garder l'ensemble. Tous avaient été contrecollés sur des passe-partout il y a une centaine d'années et chacun des passes portait des annotations avec des attributions. Certaines flatteuses comme Andrea del Sarto et le dessin du Saint-Sébastien qui portait une attribution à Michel-Ange. Je n'y voyais pas vraiment Michel-Ange mais j'avais compris que c'était un dessin de cette génération là et qu'il pouvait être important. C'est en étudiant le dessin par la suite avec notre expert Patrick de Bayser que nous avons découvert que le dessin était l'oeuvre d'un gaucher. On voit en effet très distinctement que les traits de fuite notamment au niveau du bas du dos et des cuisses du Saint-Sébastien partent nettement vers la gauche. Un droitier aurait disposé son dessin à l'inverse. Léonard étant gaucher, cela était un premier indice. Ensuite, en retournant la feuille, nous avons vu un petit croquis typique de Léonard de Vinci dont l'écriture était inversée car il écrivait de la droite vers la gauche. Cet indice supplémentaire nous a mis la puce à l'oreille, nous avons donc demandé à Madame Carmen Bambach, conservatrice spécialiste des dessins anciens au Metropolitan Museum de New York , de valider son authenticité car elle est la plus grande spécialiste de l'oeuvre dessinée de Léonard de Vinci...
Le Saint-Sébastien de Léonard de Vinci
Dans l'un des Codex de Léonard, ce dernier déclare avoir fait 8 Bastiani, soit 8 représentations de Saint-Sébastien. Or, nous ne connaissons à ce jour aucun tableau représentant Saint-Sébastien par l'artiste. En revanche il y a deux dessins répertoriés en plus de celui-ci qui est donc le troisième. Des trois dessins connus, le nôtre est de loin le plus achevé. Il est à la plume et très travaillé notamment au niveau des jambes avec de nombreuses reprises et repentirs où Léonard hésite sur la position qu'il veut donner à son Saint-Sébastien. Il y a également un autre élément très intéressant dans ce dessin, une évocation du paysage alpin que Léonard pouvait voir étant jeune... C'est un dessin très nerveux et enlevé d'un thème cher à l'artiste, Saint-Sébastien. Il met beaucoup de sensibilité dans cette étude de ce jeune homme attaché avant son supplice qui constituera à être transpercé de flèches...
Verso du dessin de Saint-Sébastien avec les croquis et annotations de Léonard de Vinci
Effectivement, alors que je me rendais dans un château en Normandie pour faire un inventaire, j'y ai découvert de nombreux tableaux. Ils étaient accrochés sur les murs comme dans ces maisons de famille où des choses importantes côtoient des choses qui le sont moins. Il y avait quelques jolis tableaux et parmi eux, ces deux paysages avec des scènes galantes de Fragonard... Ses propriétaires n'en avaient aucune idée, je leur ai alors dit qu'il fallait les faire authentifier immédiatement. Nous avons donc fait venir chez Tajan l'expert Eric Turquin qui a confirmé ce que je pensais.
Je ne pense pas car la France a été très ratissée depuis cent ans. Une majeure partie des maisons de famille ont été vendues et leurs objets vendus aux enchères. Je pense donc qu'il y a de moins en moins d'oeuvres qui vont être découvertes mais il y en a sûrement toujours qui dorment dans des greniers. Régulièrement nous faisons des découvertes, c'est ce qui donne tout le sel à ce métier, c'est l'aspect de découverte. Cela fait trente ans que je fais ce métier et j'ai régulièrement fait des découvertes mais de cette importance là, à six mois l'une de l'autre, c'est plus rare...
Pas encore Premium ? N'hésitez plus et venez assister à la rencontre privée avec Thaddée Prate grâce à l'abonnement Vanity Fair x CultureSecrets pour 19,95€/mois (sans engagement).